Appui à un régime public universel d’assurance-médicaments

3 mai 2022

Au Premier ministre, à la Vice-première ministre et ministre des Finances, et au ministre de la Santé,

Nous sommes des professionnels de la santé et des experts en politique publique. Comme vous, nous sommes préoccupés par la qualité, la pérennité et le caractère équitable du système de santé canadien, particulièrement dans le contexte des tensions causées par la pandémie de covid-19. Nous apprécions votre récent engagement à adopter une Loi sur l’assurance-médicaments du Canada d'ici la fin de 2023, puis d’élaborer un formulaire national de médicaments essentiels et un plan d'achat en gros d’ici 2025. Toutefois, nous vous demandons d’augmenter à la fois l’envergure de ces engagements ainsi que la vitesse de leur réalisation. Les Canadiens et Canadiennes ne devraient plus avoir à attendre pour un régime public universel d’assurance-médicaments couvrant l’ensemble des médicaments dont ils ont besoin.

Nous vous écrivons car la pandémie a accru l’urgent besoin pour une couverture en médicaments capable d’offrir à l’ensemble du pays un accès universel aux médicaments prescrits de manière appropriée, à un prix abordable et financé de manière équitable. Il est vrai qu’il existe plusieurs problèmes dans notre système de santé requérant une attention immédiate dans l’ensemble du pays, tels que les ressources humaines en santé, les soins longue durée, les soins en santé mentale, les soins de première ligne et les temps d’attente pour les chirurgies. Néanmoins, avec un financement adéquat du gouvernement fédéral, un régime public universel d’assurance-médicaments, tel que celui que vous avez promis, permettrait d’améliorer sans délai l’accès aux médicaments nécessaires pour les Canadiens et Canadiennes tout en générant des économies de plusieurs milliards qui pourraient être réinvesties par les provinces et territoires, par les ménages et les entreprises pour les autres priorités en santé.

Comme vous le savez, chaque nation a le devoir d’assurer un accès universel aux médicaments nécessaires, tel que stipulé dans les différents engagements internationaux sur les droits de la personne et les droits à la santé (engagements dont le Canada fait la promotion et dont il a contribué à créer). Afin de remplir cette obligation, tous les pays à revenu élevé possédant un système universel d’assurance-santé couvrent aussi les médicaments prescrits médicalement nécessaires – tous sauf le Canada.

Au Canada, la couverture publique et universelle des soins de santé cesse en effet dès que le patient reçoit une ordonnance. Bien que plusieurs Canadiens et Canadiennes ont accès à une assurance publique ou privée, environ une personne sur cinq au Canada n’ont pas accès à une couverture ou sont considérés insuffisamment assurés pour obtenir les médicaments dont ils ont besoin. La couverture inadéquate en médicaments prescrits affecte les Canadiens et Canadiennes de toutes les provinces et à tous les niveaux de revenus. Toutefois, les ménages à faible et moyen revenu, les femmes et les Canadiens issus de minorités visibles risquent davantage de se retrouver avec une couverture inadéquate et de ne pas remplir leurs prescriptions pour des raisons financières.

Au Canada, la fragmentation actuelle des régimes publics et privés d’assurance-médicaments expose les ménages et les entreprises à des risques financiers importants et inéquitables, accroît les coûts administratifs, et dissocie la gestion des médicaments du reste du système de santé. Rien de tout cela n’est positif pour nos résultats en santé ou pour notre économie. Avec les tensions supplémentaires introduites par la pandémie sur l’économie et le système de santé, force est de constater que ces tendances s’aggravent.

Les Canadiens et Canadiennes méritent mieux.

Depuis les années 1960, cinq commissions nationales ont chacune recommandé que tous les médicaments prescrits médicalement nécessaires soient inclus dans le système public universel d’assurance-santé du Canada. Elles sont toutes arrivées aux mêmes conclusions parce que c’est la manière la plus équitable et la plus abordable d’assurer aux Canadiens et Canadiennes un accès universel pour tous les médicaments nécessaires. Le dernier rapport sur la question a été publié en juin 2019 par le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Ce rapport offre un plan détaillé pour permettre la mise en place d’un régime public universel d’assurance-médicaments ainsi qu’un échéancier réaliste débutant par des mesures législatives et des investissements.

Il n’y a plus de raisons d’attendre. L’argumentaire clinique et moral en faveur d’un régime public universel d’assurance-médicaments est indéniable. Les infrastructures administratives nécessaires pour un tel programme existent déjà. De plus, les études gouvernementales et académiques estiment qu’un tel régime public universel d’assurance-médicaments permettrait aux Canadiens et Canadiennes d’économiser entre $4 milliards et $7 milliards par année. Ces montants sont suffisants pour embaucher de 30 à 50% plus de personnel pour les soins de première ligne à travers le Canada. Un régime public universel peut réaliser ces économies tout en augmentant notre accès aux médicaments à travers le pays puisqu’un régime public à payeur unique permet aussi de négocier les meilleurs prix sur le marché pharmaceutique global.

Pour ces raisons, nous vous demandons de mettre en place un régime public universel d’assurance-médicaments dès maintenant. En planifiant la reprise post-pandémique, le choix pour le Canada n’est pas entre un régime public d’assurance-médicaments ou d’autres priorités en santé. Le choix doit plutôt être pour un régime public d’assurance-médicaments et d’autres priorités en santé car un régime public d’assurance-médicaments permet de dégager les économies nécessaires pour financer les autres priorités.

Nous savons que de puissants intérêts dans l’industrie de l’assurance et du médicament s’opposent à la mise en place d’un régime public universel d’assurance-médicaments au Canada car ils profitent du statu quo. L’existence de ces forces d’opposition ne fait pas d’un régime national d’assurance-médicament une mauvaise politique sociale. Elles augmentent plutôt la nécessité d’un leadership solide et fondé en principes de la part du Gouvernement du Canada à un moment critique de notre histoire.

Le régime public universel d’assurance-médicaments que vous avez promis aux Canadiens et Canadiennes est la voie à suivre. Tel que recommandé par votre Conseil consultatif, un tel régime doit débuter maintenant avec une loi sur l’assurance-médicament qui incorpore les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé :

  • Universel : tous les résidents du Canada devraient avoir un accès égal à un régime national d'assurance-médicaments;

  • Public : un régime national d'assurance-médicaments doit être financé et administré par l'État;

  • Intégral : le régime d'assurance-médicaments doit offrir une vaste gamme de traitements sûrs, efficaces et fondés sur des données probantes;

  • Accessible : l'accès aux médicaments d'ordonnance devrait être fondé sur les besoins médicaux, et non sur la capacité de payer;

  • Transférable : les prestations d'assurance-médicaments doivent être transférables d'une province et d'un territoire à l'autre lorsque les gens voyagent ou déménagent.

Aussi, tel que recommandé par votre Conseil consultatif, la couverture des médicaments prescrits par un régime public national devrait débuter maintenant en couvrant d’abord les médicaments essentiels et en augmentant graduellement le panier de médicaments couverts pour en arriver à une couverture intégrale des médicaments prescrits dès 2027. Une telle couverture intégrale des médicaments prescrits au sein des systèmes de santé est la norme dans les pays comparables.

Agir en ce sens pour réaliser pleinement et dès maintenant les promesses et le potentiel d’un régime national d’assurance-médicaments transformerait pour le mieux les soins de santé au Canada et générerait des milliards d’économies afin de s’attaquer aux autres défis en santé. Vous pouvez compter sur notre appui pour agir en ce sens.

Bien à vous,

Plus de 1000 professionnels de la santé et des experts en politique publique